De la génétique à l'épigénétique
On les a localisés, analysés, triturés, decryptés, séquencés. Chez l'humain comme chez le rat, la chèvre, le buffle, la drosophile ou même le riz et le blé, les gènes ont été scrutés à la loupe dans les laboratoires du monde entier. On commence tranquillement à percer le mystère de ces fragments d'ADN qui tricotent les organismes vivants. Et pourtant, l'essentiel se trouve peut-être au-delà de la génétique. L'essentiel se trouve peut-être dans l'épigénétique.
Michael Meaney, Ph.D., et Gustavo Turecki, M.D., Ph.D., chercheurs de l'Institut Douglas, l'ont prouvé de façon spectaculaire ces dernières années: non seulement l'environnement a une influence sur la santé mentale et physique, il peut modifier le fonctionnement des gènes dont on hérite à la naissance. Comme si ces derniers étaient contrôlés par une série d'interrupteurs. Et que la nourriture qu'on avale, l'air qu'on respire ou même les câlins que l'on reçoit avaient le pouvoir d'activer ces interrupteurs.
Ce qu'on mange nous rend plus ou moins vulnérables à certains cancers: rien de nouveau là-dedans. Mais on sait maintenant qu'en activant les fameux interrupteurs épigénétiques, les aliments altèrent le comportement des gènes. Et ces modifications sont ensuite transmissibles de génération en génération. Nos excès alimentaires peuvent ainsi hypothéquer la santé… de nos enfants! Une célèbre étude suédoise a même démontré qu'un épisode de famine peut avoir des répercussions non seulement sur la longévité de ceux qui le vivent, mais aussi sur l'espérance de vie de leurs petits-enfants!
De simples caresses ?
De simples caresses auraient-elles aussi le pouvoir d'influencer la mécanique génétique ? Les bébés rats que leur maman lèche souvent - le léchage remplissant chez le rat la même fonction que la caresse chez l'humain - sont plus calmes que les rats mal léchés. Mais Michael Meaney et son équipe sont allés beaucoup plus loin que ça: ils ont traqué l'empreinte des soins maternels jusque dans le cerveau des jeunes rats. C'est que le léchage influence l'activité d'un gène qui prémunit les rats contre le stress. Ce gène, NRC31, produit une protéine qui contribue à diminuer la concentration d'hormones de stress dans l'organisme. Encore faut-il activer une portion bien précise de ce gène, grâce à un interrupteur épigénétique. L'analyse des cerveaux de rats n'ayant pas reçu une ration suffisante de léchage l'a démontré : l'interrupteur lié au gène NRC31 était défectueux dans les neurones de l'hippocampe des rats. Conséquence: même en l'absence d'éléments perturbateurs, ils vivent dans un état de stress constant.
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Du rat à l'humain, des mécanismes semblables
Du rat à l'humain, ces mécanismes sont semblables. Michael Meaney, secondé par la coordonnatrice du projet, Hélène Gaudreau et son équipe de recherche, sont à l'origine d'une ambitieuse étude: le projet MAVAN (pour Maternal Adversity Vulnerability and Neurodevelopment), qui vise à évaluer, sur une période de six ans, le développement d'enfants dont certains ont une mère qui souffre de dépression grave. Comme ces dernières ont souvent de la difficulté à créer des liens affectifs avec leur enfant, il est probable qu'elles cajolent moins leurs bébés que les mères non dépressives du groupe témoin. On mesurera les niveaux d'hormones de stress des enfants, en plus d'aller voir ce qui se trame dans leur cerveau grâce à des techniques d'imagerie cérébrale.
Afin de mesurer plus efficacement l'effet épigénétique sur le cerveau humain, les chercheurs de l'Institut Douglas ont complété une autre étude, cette fois sur les cerveaux de personnes décédées. Ils ont ciblé le même gène que chez le rat, pour démontrer que la qualité des interactions familiales modifie bel et bien son activité. Trente-six cerveaux leur ont permis d'arriver à ces conclusions: 12 provenant de victimes de suicide qui avaient subi des abus dans leur enfance, 12 autres de victimes de suicide qui n'avaient pas subi de sévices particuliers, et 12 cerveaux témoins. C'était pratiquement écrit dans ces cerveaux: les mauvais traitements entraînent des modifications épigénétiques qui, à leur tour, altèrent le fonctionnement du gène NR3C1. Comme chez le rat, les glandes qui sécrètent les hormones de stress sont en état d'alerte perpétuel. Cela rend les individus maltraités particulièrement susceptibles à l'anxiété, à la dépression et, éventuellement, au suicide.
La bonne nouvelle, c'est que, contrairement aux mutations génétiques qui sont irréversibles, le marquage épigénétique, lui, peut changer. Certains médicaments répareraient les "interrupteurs défectueux". Mais un simple changement d'environnement pourrait donner des résultats intéressants, si l'on en croit les rats : le petit d'une rate peu affectueuse, si on le confie aux bons soins d'une mère adoptive qui le lèche beaucoup, finit par se développer normalement. Comme quoi le destin d'un petit rat ou d'un petit humain n'est jamais scellé dans son ADN.