18-12-2008
Aucun a priori, je vous prie!
Anne Crocker, Ph.D., chercheuse en psychiatrie légale, aborde certaines des questions actuelles les plus épineuses en santé mentale. Non seulement fait-elle avancer le combat pour l'égalité culturelle et des sexes au sein des systèmes judiciaire et de santé mentale au Canada, elle contribue également à l'amélioration de la qualité de l'ensemble des soins en santé mentale. Anne travaille au Douglas depuis 2002 et est codirectrice de l'Axe services, politiques et santé des populations du Douglas. En tant que chercheuse en psychiatrie légale, elle se consacre à la branche de la psychiatrie qui étudie les questions légales reliées aux troubles mentaux.
Experte de l'évaluation des risques de violence de la part des gens aux prises avec un trouble mental, Anne a travaillé au cours des deux dernières années avec le personnel du pavillon Perry 2A du Douglas afin d'implanter le programme START (Évaluation du risque à court terme et traitabilité). Le START aide les employés, les patients et les familles à évaluer sept risques spécifiques, incluant l'auto-mutilation, le suicide et la violence envers les autres. Cet automne, le Douglas prévoit implanter le START au sein d'unités additionnelles et de programmes destinés aux patients externes.
Le respect des droits
Anne se fait également remarquer sur la scène nationale. En juillet 2008, elle a été nommée chercheuse en chef de l'étude sur la responsabilité criminelle (Canada's National Trajectory Study on Criminal Responsibility). Son objectif est d'améliorer le processus visant à déterminer si une personne emprisonnée pour un crime (et non tenue criminellement responsable en raison d'un trouble mental) est toujours une menace pour elle-même ou pour les autres. « Il n'y a pas de place pour les a priori, basés sur le sexe, la culture, les antécédents médicaux ou d'autres facteurs. Chaque individu est différent et a le droit à une évaluation impartiale, basée sur les plus récentes données ».
Elle s'explique : « Le Code criminel du Canada a été révisé en 1992. Il y est stipulé que les individus qui sont déclarés "non criminellement responsables pour cause d'aliénation mentale" ne peuvent être détenus indéfiniment. Il y est également stipulé que ces individus se voient garantir le droit à une révision annuelle de leur cas. L'étude que nous menons présentement se base sur ces nouveaux acquis afin de s'assurer que les droits des prisonniers sont respectés tout en assurant la sécurité de la population ».
Il a également été demandé à Anne d'évaluer le nouveau tribunal de santé mentale du Québec. Ce dernier a été créé afin d'aider les gens ayant un trouble mental et qui commettent des délits mineurs. Le tribunal aide ainsi ces gens à éviter le système de justice pénale et à recevoir des soins en santé mentale. De plus, Anne siège également au Comité consultatif sur la santé mentale et la loi de la Commission de la santé mentale du Canada. La Commission, présidée par l'Honorable Michael Kirby, est présentement en train de mettre sur pied une stratégie nationale axée sur la santé mentale, une campagne de lutte contre la stigmatisation et un centre d'échange des connaissances, à partir des informations et idées issues des comités consultatifs.
Séduite par la recherche légale
Mais d'où lui viennent cette passion et cette énergie? Anne se souvient de ses débuts : « Très tôt, j'ai été séduite par la recherche légale. À l'âge de 19 ans, j'ai obtenu un emploi d'été à l'Institut Philippe-Pinel de Montréal, qui consistait à entrer les fichiers des patients dans une base de données informatisée en vue d'une analyse. J'ai conservé cet emploi tout au long de mes études de premier cycle. J'adorais poser des questions telles "Pourquoi certaines personnes ayant des troubles mentaux se retrouvent-elles dans le système pénal plutôt que dans le système de santé mentale"? J'adorais les nouveaux apprentissages. Et j'adorais l'idée de mener des recherches contribuant à une société plus juste, spécialement pour ses citoyens les plus vulnérables ».
Faire passer le mot
L'enseignement est un autre moyen utilisé par Anne afin de changer la perception de la société sur la santé mentale. « En 2007, j'ai mis sur pied un cours pour l'Université McGill intitulé Current Issues in Forensic Mental Health afin d'enseigner aux étudiants à penser de manière critique lorsqu'ils lisent des revues, des journaux, des articles sur le web — bref, partout où ils obtiennent leurs informations. C'est une excellente façon de lutter contre la stigmatisation, puisque cela demande aux étudiants de remettre en cause leurs a priori concernant la maladie mentale et de regarder le tout d'un oeil nouveau et plus critique. Je m'adresse également aux associations de défense en santé mentale et aux organisations d'individus atteints de maladie mentale, afin de m'assurer qu'ils ont accès aux plus récentes informations en la matière ».
Bien que Anne contribue au changement, et ce, à plusieurs niveaux, il y a encore et toujours beaucoup plus à accomplir. Elle termine en posant cette question : « saviez-vous que le Québec ne dispose d'aucun programme spécialisé pour la formation en psychiatrie légale »?
Non, Anne, nous ne le savions pas. Mais si un tel programme est sur votre liste de « choses à faire », parions qu'il verra le jour. ? N.S.
En quelques mots…
Quels mots décrivent le mieux la maladie mentale?
Un défi que nous POUVONS relever.
Quel film a le plus influencé vos idées sur la santé mentale?
Les films de Woody Allen. Il a des tics, mais il est hautement créatif et rassembleur.
Comment préservez-vous un mode de vie équilibré?
Je donne le crédit à mon partenaire, une vie sociale active, les randonnées pédestres et l'entraînement en salle. Je jouais également au hockey à un niveau compétitif.
Qui fait, à votre avis, un travail hors pair pour déstigmatiser la maladie mentale?
Ellen Corin, PhD: Elle donne vie à l'expérience humaine dans notre recherche et est passionnée pour son travail.
Un mot pour décrire le Douglas?
Communauté.