Lettre de Michael Meaney

23-02-2007

L’article suivant, publié dans l’édition du 5 octobre du journal the McGill Reporter, a été écrit par un chercheur du Douglas, Michael Meaney, Ph.D., et décrit son récent entretien avec sa Sainteté le Dalaï-Lama. Durant cette période des Fêtes, nous espérons que vous apprécierez cette réflexion sur la spiritualité et la science – alors que partout des gens de milieux différents s’emploient à apprendre les uns des autres et à atteindre un objectif commun.


Au printemps 2004, Richard Davidson, Ph.D., de l’Université de Wisconsin, m’a demandé de me rendre à Dharmsala, en Inde, pour une rencontre de cinq jours avec le Dalaï-Lama et ses associés afin de discuter du développement du cerveau. La proposition était tentante. Mais pourquoi moi? Je n’ai qu’une vague connaissance du bouddhisme et je réserve habituellement ma spiritualité à des souvenirs des Canadiens de Montréal, à leur heure de gloire, soit au tournant des années 1960-1970. Mon idée d’une véritable épiphanie, c’est la défaite des Bruins de Boston aux mains de la Sainte Flanelle en 1971!

«Il doit bien exister des candidats plus appropriés», répondis-je à Richard Davidson. Il insista beaucoup. Ses recherches portent sur le cortex préfrontal, cette célèbre antenne de la raison qui est censée s’activer lorsque l’on compte jusqu’à dix ou que l’on se retient de dire ses quatre vérités à quelqu’un. Pour les optimistes, le cortex préfrontal, c’est ce qui nous rend humain; pour les pessimistes, c’est ce qui nous retient de l’être. Les bouddhistes sont des optimistes. Tout comme les fans des Canadiens de Montréal. J’ai donc décidé d’y aller.

Je suis débarqué à Dharmsala après 38 heures consécutives de vol et de voiture sur les routes rurales de l’Inde. Une heure plus tard, j’étais dans un hall d’entrée imposant, assis sur un divan faisant face à des moines seniors. À ma droite, quelques places à côté de moi, se trouvait un homme semblant aussi bienveillant qu’un grand oncle – le Dalaï-Lama. Sa Sainteté et ses merveilleux moines ressemblaient en tous points à ce que pourrait souhaiter un adepte du bouddhisme tibétain.

Chacun des cinq scientifiques présents devait s’entretenir pendant trois heures dans la matinée avec le Dalaï-Lama pour ensuite discuter l’après-midi des principaux enjeux entourant l’éducation des enfants. Mon entretien personnel était inscrit pour le lendemain. Pas question d’invoquer le décalage horaire.

Mes hôtes s’intéressaient réellement à la neuroscience et à ses incidences. Le bouddhisme traite des modes de vie et de leurs conséquences, et ces relations se prêtent à une étude scientifique. Notre dialogue tentait de raccorder des mouvements caractéristiques des épistémologies orientale et occidentale. Toutefois, malgré une sincérité réelle de part et d’autre, et une foule de points de contact évidents, un fossé persistait. Intellectuellement, nous pouvions nous rejoindre, mais pas nous fusionner.

Les raisons semblaient évidentes: d’une part, des scientifiques convaincus; d’autre part, de vieux moines sereins, dans leurs grandes robes bourgogne et safran; l’introspection contre l’empirisme, les traditions de l’Orient face à celles de l’Occident. Si de telles différences étaient évidentes, je crois, par contre, que notre écart s’expliquait autrement. Nos différences tenaient moins à des traditions qu’à un projet. Les bouddhistes tibétains sont interventionnistes – ils cherchent à guérir les blessures sociales et spirituelles de la vie moderne: ils souhaitent aider. Les scientifiques, eux, cherchent la connaissance et la compréhension. Le fossé qui nous séparait était celui que je vis face à mes élèves de quatrième année de médecine qui, comme les moines bouddhistes, cherchent à aider. Comme les infirmières, les travailleurs sociaux et les psychologues cliniques, ce sont des guérisseurs.

Voilà ce qui me ramène au cortex préfrontal. La méthode des bouddhistes tibétains ressemble à la thérapie cognitivo-comportementale, une approche bien validée au plan scientifique face aux nombreuses formes de maladies mentales affectant le cortex préfrontal. J’ai justement pu aborder cette question en septembre dernier avec le Dalaï-Lama, à Vancouver cette fois.

À cette occasion, notre sujet d’échange a été la santé mentale et je m’y suis préparé en visionnant l’enregistrement vidéo d’un échange entre le Dalaï-Lama et Aaron Beck, créateur de la thérapie cognitivo-comportementale. Leur discussion était passionnante, une véritable rencontre entre l’Est et l’Ouest, réunis cette fois sous une perception commune. On y voit le Dalaï-Lama et Aaron Beck être sur la même longueur d’ondes à plusieurs reprises. Ces éléments expliquent le message unificateur du Dalaï-Lama : ce n’est pas la polarité entre l’Orient et l’Occident ou quelque autre division, mais bien une démarche visant un but commun.