18-09-2006
Chaque époque génère une violence qui lui est propre. L’homicide-suicide, le phénomène des kamikazes, les fusillades collectives, particulièrement dans les lieux d’enseignement, constituent un phénomène relativement inédit et rien ne laisse présager, hélas, qu’il disparaîtra de sitôt.
Le Québec n’échappe pas à cette mode. Après Polytechnique et Concordia, c’est maintenant un collège qui est touché. Kimveer Gill, avec le peu de renseignement dont on dispose au lendemain de l’évènement, était un jeune homme rempli de violence, de souffrance et de rage. Sur son blog, il signale sa haine de la société, des policiers dont il se sentait surveillé, mais plus particulièrement des gens normaux et des « sportifs ».
Le geste de ce jeune Lavallois de 25 ans est bien sûr criminel mais il ne faut pas sous-estimer son caractère suicidaire. Le suicide des jeunes hommes est un fléau dans nos sociétés développées et le Québec, pour des raisons encore mal élucidées, détient un triste record en la matière. Longtemps le suicide a été considéré comme un crime (contre soi). Les religions continuent de le condamner, sans doute pour mieux le prévenir, mais leur autorité s’amenuise. Le suicide n’est plus criminalisé dans nos cultures mais c’est d’une certaine façon le suicide qui cherche à se re-criminaliser quand il s’associe au geste homicidaire. La souffrance psychologique des adolescents et des jeunes adultes, qu’elles s’inscrive dans des situations d’impasse familiale, d’échec amoureux, scolaire ou professionnel, de dépression ou de psychose avérée, conduit plus rapidement qu’autrefois à une recherche de solutions radicales et violentes.Les barrières psychologiques, familiales, morales, culturelles ou légales contre ces « solutions » extrêmes ne fonctionnent plus comme avant. Je crois en particulier que ces drames illustrent aussi la faillite de ce que les psychanalystes appellent la fonction paternelle. Le père ou son substitut ne parvient plus à canaliser la violence potentielle du garçon.
Je suis frappé également par le traitement médiatique d’un évènement comme celui du collège Dawson. Une spécialiste des médias se félicitait par exemple que, contrairement à la tuerie de Polytechnique, le public n’avait pas été tenu à l’écart de l’action, qu’il avait pu assister, presque en direct, au drame, qu’il avait pu voir, de ses yeux voir, la panique de la foule, l’émotion des jeunes étudiants, leurs cris et leurs pleurs. Je me méfie de cet engouement pour le « voir » et, plus encore, de ce culte médiatique et hystérique rendu à ce type d’évènement. L’image est souvent trompeuse et elle déclenche davantage des réactions émotionnelles que des réactions rationnelles. En amplifiant démesurément l’impact d’un tel fait divers, notre société transforme le crime d’un jeune homme dérangé en un drame collectif qui va profondément marquer les consciences et les imaginations. Si nous continuons de construire autour de ces évènements le prototype de la tragédie moderne, je crains que l’effet d’émulation et de contagion propre à ces crimes spectaculaires (et surtout à leur traitement médiatique) ne vienne submerger et rendre vains les appels à la raison, à la prévention et à tous les contrôles institutionnels possibles (psychiatriques, policiers et judiciaires notamment).
Lettre publiée dans le journal La Presse le 15 septembre 2006.